Voici à ma connaissance, la première chronique parue concernant le nouvel album. Elle provient du site "Musiques stories".
D'un préjugé défavorable provenant des années 60, l'indulgence est devenue beaucoup plus forte avec le temps.
Chronique de De Toi à Moi
S’il est un artiste de la chanson de variété francophone réhabilité par le temps qui passe, c’est bien Salvatore Adamo, jadis considéré comme le pan un peu fadasse de la dernière écume de la vague yéyé, aujourd’hui restauré dans ses mots – et musiques – comme le poète modeste de ces gens de peu qui bandent (« Laisse mes mains sur tes hanches », « Vous permettez, monsieur », « Les Filles du bord de mer »), et débandent (« Tombe la neige »).
Arno et Olivia Ruiz et d’autres sont naturellement passés par-là, afin d’attirer les lumières volages de l’actualité, mais c’est, en 2010, le talent d’un besogneux étincelant (un petit maître du bout-rimé, un artisan de la chanson impressionniste) qui éclate désormais au grand jour, sur un air de frites et moules, et de mouettes désolées, sur front de mer grisâtre et brouillardeux.
Après le très salué Le Bal des Gens Bien, relecture collégiale des succès du bonhomme, De Toi à Moi est un donc un nouvel album pour nous, et comme à l’accoutumée chez l’Italo-Belge, moins simple qu’il n’y paraît. Certes, on frissonne à la fanfare nordiste de « La Boîte à souvenirs », séductrice et sépia comme une malle dénichée dans le grenier de l’enfance, et l’amour des autres refrains s’y pare comme à l’accoutumée de la buée de la nostalgie : ainsi, la chanson-titre, ou « Un Jour sans toi », qui conte la désespérance de l’absence, la fièvre adolescente de « Je reviens » (à ton âge ! Salvatore ! Est-ce bien raisonnable ?), ou le retour aux fondamentaux (sublime « La Beauté des femmes »), brillamment ressuscitent certains fondamentaux (on aime, et puis on est malheureux), passés au filtre de cette voix pas faite pour la chanson, mais idéale dans la transmission des frissons.
La quatorzième et ultime mélodie du programme, intitulée « Alice », toute pompe guitaristique dehors, dresse une statue bien méritée (on n’est jamais très loin de Parlez-moi de la pluie/Parlez-moi du gros temps de « L’Orage ») à un Brassens en tonton affectueux du chanteur, unique en son genre, seul apte à glisser un périphrases diverses dans ses vers. Et lorsque l’album sacrifie à l’exercice du duo, Adamo s’ingénie, encore, à ne pas se faire entendre là où on l’attend : « Rendez-vous sur Gliese » (on a cherché : il s’agit d’une étoile, aux mêmes caractéristiques que la Terre, de la constellation de la…Balance) pousse les tapis pour un Oxmo Puccino souple et sidéral, alors que « Tous mes mensonges » accueille en mineur Chantal Lauby (la même qui réalisa un certain Laisse tes mains sur mes hanches).
La soprano Anne-Catherine Gillet participe à un hommage à la Callas dans « Pourquoi tu chantes » (mais, interrogé donc – pourquoi tu chantes ?- on peut répondre : la Callas, c’est Salvatore), et les jeunes pousses (en l’occurrence Amélie Adamo) se déclarent prêtes à reprendre le flambeau in « T’aimer quelque part ». Bien évidemment, on conservera la friandise de la préférence à « Jours de Lumière », magnifique rencontre entre le patron et Christophe, tout nostalgie commune et déchirement mutuel dehors. Á chaque fois, Adamo imprime sa sensibilité, sa vision humaniste et pudique de la course du monde. On dira : comme le font les grands, car cela en est un, indubitablement.
Voilà : il s’agit du vingt-deuxième album du bonhomme (réalisé par Dominique Blanc-Francard, la mention émouvra certains), qui ne désespère pas d’achever son deuxième roman, de remonter sur scène, enfin apprendre le piano. Mais, pour l’heure, et de vous à moi, De Toi à Moi suffit à notre bonheur.
Christian Larrède